mercredi 6 août 2008

Rendez-vous manqué avec l'Histoire

Avant de quitter le pays, je voulais impérativement apprécier un autre de ces joyaux historiques et archéologiques laissés par la civilisation gréco-bactrienne. Témoin du passé hellénistique de la région, l'ancienne cité de Ai Khanoum – ou ce qu'il en reste, c'est à dire pas grand chose – s'étend au bord de l'Amour Daria, le légendaire fleuve Oxus qui sépare désormais Tadjikistan et Afghanistan. On m'avait formellement interdit de traverser la frontière par-là, non pas, pour une fois, à cause des problèmes de sécurité en Afghanistan, mais car une petite rébellion avait éclaté dans la province Tadjike de Kulyab (fief de l'inénanarrable président Rakhmon). Les ruines de Ai Khanoum, l'ancienne Alexandria sur l'Oxus

Je comptais toutefois faire un petit détour de 5-6 heures en 4x4 pour aller me frotter à l'Histoire. Il s'en sera rien. Parti de Taloqan (la capitale provinciale du Takhar dans le nord-est Afghan) à 5 heure du mat', je déboule dans un bled dont j'ai oublié le nom après 3 heures de tape-cul mémorable. J'ai droit à un petit déjeuner composé d'œufs, de pain et de crème fraiche qui ne l'était plus trop. S'en suit un de ces fameux moments orientaux pendant lequel je poireaute silencieusement assis par terre en face de mes hôtes tout aussi silencieux et assis. On se regarde, on se jauge, le sourire est de mise. On ne sait pas trop ce que l'autre pense ni ne désire... L'Asie forge la patience et habitue à ce genre de petits jeux. L'incommensurable hospitalité Afghane fait le reste.

Kaboul et le désert Afghan ?

Une heure plus tard, nous repartons avec un passager supplémentaire pourvu d'une barbe blanche, ma foi, fort bien fleurie. Grâce à lui nous sommes censés être capables de passer les éventuels cerbères locaux qu'il a dans la poche. Nous sommes à peine à une heure du site, les paysages sont absolument incroyables. Si on a souvent l'impression d'être dans un Western en Asie centrale, cette partie est au moins un cru 68 de Sergio Leone : désert, ville fantôme, tornades, buissons qui roulent. Il suffit de troquer les chameaux pour des bourrins, les barbes pour des moustaches et nous y sommes ! De plus, les armes sont encore sur place ...

Au fond, des stuppas bouddhiques

Le trajet est bordé de vestiges insolites : Les Taliban ont fait sauter les Bouddhas de Bamiane, mais ce nord du pays dans lequel Massoud, acculé, s'était retranché quand il était au plus mal abrite encore des ruines de stuppas bouddhiques. J'essaie de m'en assurer auprès du chauffeur et du vieillard et le seul terme sur lequel nous tombons d'accord est « kafir », soit païen ou bien impie, bref non musulman, donc ici bouddhique ! Plus loin des installations militaires soviétiques pour le moins décatie (complètement défoncées) et recouvertes de graffiti en Dari témoignant certainement toute la sympathie du peuple Afghan envers l'ancien occupant. Quelques épaves de chars désossés (la grande mode est d'utiliser les chenilles comme « gendarmes couchés ») jonchent le bord de route et, plus rare, un avion en piteux état. Je crois bien que l'Alliance du Nord avait ici un « aérodrome ».

Résidus de l'armée rouge : tanks dépouillés et casernes éventrées

Cela doit faire au moins 7 ans qu'il n'y a pas eu de combats dans la région mais les cicatrices de la guerre n'ont pas encore toutes été recouvertes par le désert. Un pont, un dernier village et nous voici arrivés chez M. le gouverneur de district.

Carcasse d'avion au milieu du désert

Enfoncés sur le canapé, cinq vénérables enturbannés prennent le thé et discutent sec. Mon arrivée n'a pas l'air de les troubler pour le moins du monde; ils en ont vu d'autres. Salutations et séance de questions habituelles. Le gouverneur a l'air très content de me voir ici et me demande mon autorisation pour continuer. Interloqué, je lui réponds que l'on ne m'a jamais parlé d'autorisation de quelque sorte qu'il soit. Je pense que ce mot « maktoub » restera aussi bien dans ma tête qu'à travers ma gorge. Je passe les multiples et longues tractations, rien ne fera transiger ce monsieur. On m'a expliqué les détails après-coup : des joyeux lurons de l'ISAF (forces internationales armées en Afghanistan) s'étaient improvisés pilleurs de tombe du dimanche avec moult pelles et pioches. Merci les mecs. Le gouverneur de la province était venu constaté les dégâts deux semaines plus tôt et le savon qu'il avait passé au « district governor » n'était pas digéré. Bref, il faut désormais une autorisation du gouverneur de province pour aller sur le site. On essaie de joindre le-dit gouverneur, mais on est jeudi après-midi et c'est le weekend (vendredi, c'est férié en Afghanistan). Frustré, je quitte le pays le lendemain. I'll be back.

Les chenilles de tank ne freinent malheureusement pas les burqas

1 commentaire:

Vince a dit…

Rahh... c'est rageant que cette aventure s'arrête au beau milieu d'un désert, qui plus est devant un sale bureaucrate. Vivement la suite au prochain numéro!