lundi 9 juin 2008

Aux portes du paradis

En 2007, parmi les 217 959 coréens partis poursuivre leurs études à l’étranger, 62 392 d’entre eux se sont tournés vers les Etats-Unis. Soit une progression de 6% par rapport à 2006 alors que la Corée est déjà le troisième “exportateur” d’étudiants derrière l’Inde (83 833) et la Chine (67 723). Rappelons que la France n’a envoyé que 6 704 étudiants chez l’oncle Sam l’année dernière. Autre statistique intéressante, le nombre de candidatures coréennes à Havard est passé de 66 en 2003 à 213 au printemps 2008. La Corée se dote ainsi du plus gros contingent d’étudiants non-anglophone du premier et du deuxième cycle dans la meilleure université du monde. Comment expliquer cet exode estudiantin et cette préférence pour les universités anglo-saxonnes?

D’ordinaire trusté par le tryptique indéboulonnable SKY (Seoul National University – Korea University – Yonsei University), le monde de la politique et des affaires voient arriver dans leur pré-carré une relève diplômée des meilleures écuries anglo-saxonnes à l’instar du député Jin Park (doctorat en sciences politiques à Oxford) ou du jeune directeur général du groupe Doosan Jiwon Park (MBA au NYU). Cette nouvelle génération d'étudiants issue de prestigieuses universités américaines, anglaises, canadiennes voire australiennes, poursuivent une carrière d’avocat, de médécin, de professeur, de banquier ou de comptable pour la plupart mais le monde de la culture n’est pas en reste : Tablo, le chanteur-rappeur du groupe Epik High, possède une maîtrise en litérature anglaise et un mastère en écriture créative de l’université Stanford et l’artiste classique Kwangjin Kim est détenteur d’un MBA de Michigan State University, c’est pour dire.

Finies les facs à papa. Même Seoul National University en a pris pour son grade. Les parents sont obsédés par les Ivy League ou Oxbridge. A l'origine, seules les familles aisées de la capitale envoyaient leurs enfants étudier à l’étranger après leurs études secondaires. Aujourd’hui, la situation géographique et le revenu familial n’ont guère d’importance : les coréens sont prêts à s’endetter pour offrir à leur progéniture la meilleure des éducations possibles dès leurs plus jeunes âges. Selon un sondage effectué fin 2006, 52% des sondés sont favorables aux études anticipées à l’étranger. Parmi eux, 43% pensent que la période idéale pour envoyer leurs enfants à l’étranger est le collège, 20% ont répondu l’école primaire. Pour le reste d’entre eux, une bonne éducation dans un lycée à Séoul reste le must.

Les grands lycées de Séoul se nomment lycée Whimoon (휘문고등학교), lycée Chungdam (청담고), lycée Hyundai (현대고) ou lycée Séoul (서울고). Les quartiers sud de Kangnam ont la plus forte concentration de boîtes à bac de la péninsule sans oublier les meilleurs hagwons (classes préparatoires pour examens d’entrée à l’université). Pas étonnant alors que le prix du mètre carré soit aussi cher autour de Daechi-dong et Dogong-dong! Déménager à prix d’or dans ces barres de béton antidiluviennes n’est donc plus une énorme abérration mais un investissement à long terme pour le bien de nos enfants.

Bizarrement, les deux meilleurs établissements de Corée ne sont pas situées dans Kangnam. L’école des langues étrangères Daewon (대원 외국어 고등학교) se dresse sur les hauteurs d’Achasan, au nord-est de Séoul. Quant au Korean Minjok Leadership Academy (민족사관고등학교 dont la traduction en ‘lycée académique de la nation coréenne’serait une traduction plus fidèle), elle est située 130 km à l’est de Séoul dans la province de Gangwon. Ces deux écoles acceptant seulement les étudiants habitués aux 20 sur 20 dans toutes les matières (on parle de 100 points en Corée pour une note parfaite) proposent des curriculums spécifiques pour les études à l’étranger. Moyennant la somme modique de 5 000 dollars par an pour la première et de 15 000 dollars pour la seconde, les élèves de ces écoles sont quasiment garantis d’intégrer une ‘top-tier university’. Mais attention, la sélection est aussi sévère que pour l’entrée dans une grande école française. L’argent des riches habitants de Kangnam a finalement ses limites.


Le pensionnat Korean Minjok Leadership Academy


Le lycée Daewon et le Korean Minjok Leadership Academy arborent fièrement sur leur site web leurs taux d’acceptation dans les meilleures universités locales et étrangères. La moyenne des scores au SAT des étudiants de Daewon et du Korean Minjok Leadership Academy sont respectivement de 2203 et 2147 pour un maximum de 2400. A titre de comparaison, la moyenne de l’académie Phillips Exeter, l’un des meilleurs pensionnats américains, n’est que de 2085. Nul besoin de mentionner leur myriade d’anciens à Harvard, Yale et consorts, leurs résultats insolents aux concours et olympiades de sciences ou d’économie en Corée ou à l’international, leurs instructeurs polyglottes aux états de service irréprochables. Pas de doute, on a bien affaire à la rolls de l'éducation.

Cette réussite à cependant un prix. L'enfant devient une véritable machine. L’article du New York Times révèle l’état d’esprit et les conditions de ces prodiges :

“Soo-yeon Kim, 19 ans, diplômée (du Lycée Daewon) a été acceptée à Princeton ce mois-ci. Les parents du Lycée Daewon sont en général de riches docteurs, avocats ou professeurs d’universités. Le père de Soo-yeon est un directeur exécutif dans le comité olympique coréen. Soo-yeon a développé l’habitude de travailler dur dès son plus jeune âge, en regardant sa mère gronder sa grande soeur pour qu’elle obtienne 100 points à tous ses examens. Même un 98 ou un 99 faisait l’objet de remarques cinglantes. “La majorité des mères coréennes veulent que leurs enfants obtiennent 100 points à tous leurs examens dans toutes les matières”, explique la mère de Soo-yeon. La plus grande ambition de Soo-yeon était de rejoindre une des meilleures universités coréennes, jusqu’à ce qu’elle lise un livre sur les universités américaines écrit par une coréenne diplômée de Harvard. Immédiatement, elle colle un message dans sa chambre : J’irai dans une Ivy League!”. Même durant ses années à Daewon, Soo-yeon, comme d’autres milliers de lycéens coréens, suivent des classes préparatoires en anglais, en physique et dans d’autres matières dans des établissements privés le weekend, afin d’augmenter son score au SAT de plusieurs centaines de points. “J’adore juste réussir aux examens” confesse Soo-yeon.


Dure, dure la vie de lycéen


Les horaires quotidiennes d’un étudiant sont similaires aux heures de travail d’un employé chez McKinsey ou Accenture. Les journées commencent entre 7 heures et 8 heures et se terminent comme bien souvent vers 11 heures. Ces horaires infernales rendent évidemment toute idylle improbable. De toute manière, elle est ouvertement réprimandée par le corps enseignant. Il faut aussi rappeler que les caméras pour surveiller les élèves durant les cours du soir (somnolence, jeux, bavardages etc...) ont été récemment retirées pour son aspect autoritaire. Encore plus éloquent, le bâtiment principal du Korean Minjok Leadership Academy arborait sur son front le credo suivant : “le paradis pour les étudiants voulant étudier, l’enfer pour ceux qui ne le veulent pas” (공부하려고 하는 학생에게는 천국, 공부 싫어하는 학생에게는 지옥). Cette phrase aurait été retirée suite aux plaintes des enseignants pour son coté radical.

Il est vrai, l'accès au paradis n'est possible qu'après la mort (Luc 23, 43).

5 commentaires:

julien a dit…

Intéressant Vincent, mais t'en penses quoi au juste ? tu restes assez effacé sur le sujet ! Pour moi ils sont vraiment fucked-up et ça va juste engendrer des générations d'enfants débiles ... Quant aux facs américaines... je ne désignerais pas certains de mes (vos anciens) profs qui ont des PHD de fac Ivy league et qui sont cons comme des bites...

Autre article hallucinant sur le non moins hallucinant Chosun Ilbo :

http://english.chosun.com/w21data/html/news/200805/200805280016.html

Frederic Ojardias a dit…

Tres tres instructif...

Des generations d'enfants debiles, je suis pas sur. Je donnais des cours a des lyceens du lycee Daewon, les gamins etaient plutot malins, vifs, et certains etaient capables de developer une vraie reflexion... en plus de tous parler couramment francais et anglais.

C'est vrai que l'education coreenne a tendance a creer des machines a QCM sans un gramme d'intelligence, mais faut pas exagerer non plus.

Quant a nos profs de GSIS... ils venaient pas des Ivy League, mais plutot de petites facs americaines. Et certains etaient plutot bons. (pas de noms...)

julien a dit…

Pour un gamin capable de raisonner combien auront été sacrifié sur l'autel d'une éducation outrancière et idiotement élitiste ? L'éducation à la coréenne est la racine de tous les maux de cette société : prix de l'immobilier, profs d'anglais, casse sociale, manque d'ouverture (fausse ouverture : tout est basé sur le cours terme), migration en Equateur, j'en passe et des meilleurs !! On pourrait penser que le système éducatif est un reflet de la société, mais paradoxalement le système français est très élitiste alors que la société ne l'est pas.
Contrairement à la société coréenne où la culture de la performance, de la hiérarchie se retrouvent dans l'école. Tout est une question de choix !

Une de mes anciennes élèves dont les parents sont professeur et traducteurs l'ont inscrite dans un lycée "progressif" beaucoup moins stressant (moins de cours), moins rigide (pas d'uniforme), plus adapté aux élèves (on apprend pas uniquement l'anglais et les maths, mais d'autres matières qui permettent à l'élève de mieux se cerner ou du moins de découvrir comme la cuisine, le jardinage, les arts) , plus libéral en un mot (assez "génération 386"). Le résultat (même si l'éducation de cette personne est liée à ses parents) donne un élève très mûr, très responsable, et tout simplement très intelligent pour son âge. Je vais essayer de trouver plus d'informations sur cette école.

Vince a dit…

Julien : Sur le plan individuel, ces écoles produisent des personnes tres brillantes et pas forcement instables. Plusieurs de mes amis ont suivi ce parcours de combattant et ils ne presentent pas de sequelles neurologiques a ce que je sache. Sur le plan social, par contre, c'est un peu special. Ca devrait creer un énorme fossé entre les riches et les pauvres mais apparemment, memes les plus demunis essayent de tout faire pour envoyer leurs enfants etudier a l'etranger. La destination sera pas forcement la meme. La nouvelle mode etant d'envoyer les gamins en Chine. Le nombre d'etudiants est en progression de 45% par rapport a 2006!

Fred : euh, University of Michigan, Chicago, Washington, Tufts, Wisconsin... t'appelles ca des petites facs toi???

D'ailleurs, pour etre precis, on a 4 profs qui sortent d'une Ivy League.

http://colleges.usnews.rankingsandreviews.com/usnews/edu/college/rankings/brief/t1natudoc_brief.php

julien a dit…

Oublions pas Columbia héhé.
Vincent : bien entendu qu'il y en a pour qui ça marche, mais la plupart s'y casse les dents... Evidement ceux qui réussissent seront très brillants. Et le fait que même les plus défavorisés se saignent aux quatre veines pour envoyer leurs enfants à l'étranger et leur faire faire des cours particulier est encore plus inquiétant...