mardi 6 janvier 2009

Le choc des balivernes

Samuel Huntington a trépassé. Sans faire du wikipedia, c’est un pur produit de l’élite américaine, Yale, Harvard et tout le toutim. Il a également officié dans l’administration Carter en tant que “White House coordinator of Security Planning for the National Security Council” – quand Brzenziksi était NSA. Tout un programme.

Revenons sur un de ces derniers ouvrages, le fameux « choc des civilisations » sorti en 1994. Ce « brûlot », jeté tel un pavé dans la mare de l’optimisme issue de la fonte de la menace soviétique, se voulait être une réponse aux courants mondialo-internationalistes comme la théorie de paix libérale reprise par Fukuyama (qui au passage en remet une couche : http://the-american-interest.com/contd/?p=688).

Dès la préface, Huttington a la probité de nous prévenir que son livre n’est pas un ouvrage de sciences sociales. Entendez par-là qu’il se contentera de remplir un tiers de chaque page par des citations au lieu de la moitié. Ce qui fait toujours un sixième supplémentaire pour laisser libre court à son imagination débordante sinon à ses fantasmes. Certainement afin de préserver un maximum de suspens, il se garde toutefois de dévoiler le caractère « cheap sci-fi » que le lecteur découvrira assez rapidement.

Ce petit côté « guerre des mondes », rafraîchissant, permettra d’ailleurs de maintenir l’intérêt éveillé entre deux bâillements provoqués par des énumérations longues et fastidieuses. Ce cabotage pénible de nom de pays observés sous différents prismes (religion, ethnie, langue, culture, pointure de chaussure etc…) a au moins le mérite de faire jouer aux 7 erreurs les plus endurants d’entre nous.

L’auteur ne cesse de s’emmêler les pinceaux dans des contradictions (il y a de moins en moins de chrétiens dans le monde, ah oui mais il y a 50 millions de chrétiens en Chine) ou des bêtises (il y aurait de moins en moins d’anglophones sur terre) en collant des citations contradictoires qui, mises bout à bout, arrive à le faire plus ou moins tomber sur ses pieds.

Dans les premières 150 pages, on notera que le Portugal n’est pas en Europe, que la Chine était la 2ème puissance économique (en 94) et d’autres approximations sur l’Asie Centrale (d’ailleurs répétées par Brzenziksi deux ans plus tard dans « le grand échiquier », ce qui rappelle le bon mot de Bruce Cumings : « le cercle des relations internationales aux USA, ce sont dix personnes qui se citent les unes les autres »). Ils n’ont pas de nègres à Harvard and cie pour relire le travail des professeurs qui sucrent des fraises ?

Huttington n’hésite pas non plus à surfer sur la vague de tous les sujets en vogue dans les 90’s (Asian values, éveil de la Chine, déclin de l’occident, menace islamique, régionalisme en Asie etc…), sans ne rien apporter (ce qui démontre bien les méfaits de rétribuer les « scholars » au poids de leurs écrits). Le tout évoque la trame d’un mauvais S.A.S.

Mais ce qui est franchement risible, c’est son côté puant de généralismes, de poncifs, cette vision manichéistes au possible qu’il nous assène imperturbablement, même pour un Américain. (L’assez constipant) Edward Saïd l’a mouché à ce propos (très bon « Popeye » !) dans cet article http://www.nawaat.org/portail/2005/02/02/le-choc-de-lignorance/.

Cela rappelle Peyrefitte qui en 73 déjà, nous annonçait l’Apocalypse sur 500 pages en nous mettant en garde sur le fait que tous les jours il y a de plus en plus de Chinois ; ou bien plus sérieusement, Desproges dans son pamphlet dangereusement xénophobes « les étrangers sont nuls » s’affolait – sans bouger les oreilles - de voir que tous les jours il y avait de plus en plus d’étrangers dans le Monde…

J’ai tout de même du mal à croire que ce type, certainement par ailleurs très brillant puisse avoir des idées aussi bornées et simplistes des réalités de ce monde. Pourquoi un tel amas de billevesées ? A qui le crime profite t’il ? Cela serait-il un travail de commande demandé par des groupes réactionnaires dont les perspectives par trop pacifiques des théories libérales iraient au contraire de leurs intérêts ?

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