C'est avec un immense plaisir - d'autant plus jouissif que je ne m'attendais pas à trouver ce livre perdu aussi loin des sept mers - que j'ai découvert les écrits de ce monsieur de Monfreid, aventurier s'il en est. Ou plutôt s'il en était. Car à notre époque où les héros de pacotille, d'aucuns diront de supermarchés – signe des temps – font florès, il est un peu triste, mais certainement lucide de devoir se plonger dans le passé pour goûter à l'aventure, la vraie, celle avec des poils, de la sueur et du sel. Feu le 20ème siècle emporta avec lui les dernières grandes découvertes et force est de se résigner à une attitude admirative, contemplative et, ne le cachons pas, emprunte d'envie et de jalousie envers ces existences hors du commun, telle celle d'Henry de Monfreid.

Certes, l'on peut concevoir que tout le monde ne peut être transi de nostalgie d'une époque où le trafic d'esclaves et la contrebande d'armes était, si l'on puit dire, monnaie courante. Mais est-ce tellement différent de nos jours ? Différence, s'il y a est que le romantisme éperdu bien que mâtiné d'un solide réalisme a laissé, définitivement, place au fric. Monfreid, à mi-chemin improbable entre un Rimbaud et un Bouvier, pour sa manière de s'imprégner de l'environnement dans lequel il évolue – il ira jusqu'à se convertir à l'Islam pour mieux s'intégrer à la région et se faire respecter de ses hommes, malgré un penchant pour le Chianti des comptoirs Italiens de la corne de l'Afrique – et pour son absence de jugements simplificateurs et condescendants chers à l'homme Blanc entouré de Noirs sur la mer Rouge. En quelques mots, disons que « le récif maudit » nous narre l'histoire d'un Monfreid, un homme libre sur son boutre, « seul maître à bord après Dieu », qui traficote ce qu'il peut sauf quand il se démène pour aider un ami à conquérir sa bien-aimée.
Mes hommes eux aussi se passionnent mais leurs cris de joie ne s'adressent pas à des chimères; ils ne voient que le mince trait lumineux du sadaf dont la nacre se vent très cher et qui peut-être renferme la perle rare... et pour eux tout cela signifie le troupeau de chameaux, les moutons à queue grasse ou la femme nouvelle. Chacun a sa chimère qui toujours et partout nous soutient dans la misérable réalité.http://www.henrydemonfreid.com